dimanche 9 décembre 2012

Stranded in the Jungle - The Cadets (1956)

On my way to sunny California #4


Dr Jekyll et Mr Hyde du Rhythm & Blues californien, cette formation connut de 1955 à 1957 une activité intense sous la double identité des Jacks et des Cadets.

Quand les Santa Monica Soul Seekers, un groupe de gospel aux solides qualités vocales, sont engagés par les frères Bihari sur leur label Modern, ces derniers ont une idée bien précise en tête.
Tout d'abord, ils changent le nom du groupe, qui s'appelle désormais The Cadets, et les convainquent d'abandonner le gospel. Ensuite, ils cherchent auprès de plus petits labels ne bénéficiant pas d'un aussi fort rayonnement que le leur, des hits potentiels qui feront d'excellentes reprises.
Pour mettre encore plus de chances de leur côté, le groupe sortira sur leur filiale RPM Records la moitié de ses enregistrements, plutôt les ballades, sous le nom The Jacks.

Une vingtaine de 45 tours vont voir le jour en un peu moins de deux ans, et souvent les reprises seront bien supérieures aux versions originales.

Le premier disque à sortir sous le nom des Cadets, "Don't Be Angry", est ainsi une chanson popularisée quelques mois avant par Nappy Brown.
Ils font encore plus fort en tant que Jacks avec "Why Don't You Write Me", une reprise des Feathers qui sera d'ailleurs leur seul vrai hit sous ce nom.


"Stranded in the Jungle" sort à l'été 1956: il s'agit là encore d'une chanson sortie à peine plus tôt par un petit groupe local, les Jayhawks, mais qui se trouve transcendée par l'interprétation qu'en donnent les Cadets. Elle se classera d'ailleurs à la 4ème place des charts R&B et sera la seule du groupe à sortir au Royaume-Uni.
Véritable petite saynète mettant en scène une Afrique de pacotille, avec crash d'avion, cannibales affamés et traversée de l'océan à dos de baleine, "Stranded in the Jungle" est l'exemple même de la novelty song, une sorte de chanson-sketch, genre dans lequel excelleront les Coasters dans les années à venir ("Yakety Yak"; "Along Comes Jones"...).

Malgré l'enchaînement des sorties, et de vraies réussites comme "Do You Wanna Rock" et "I'll Be Spinning" pour les Cadets (qui iront jusqu'à s'autoparodier avec "Love Bandit") , ou "This Empty Heart" pour les Jacks, la stratégie des frères Bihari ne paye pas vraiment, et le groupe ne percera jamais vraiment.

Fin 1957, le groupe se sépare. Deux de ses membres, Aaron Collins et Willie Davis, partent rejoindre les Flairs, un de ces groupes de doo-woop à géométrie variable dont L.A regorge à l'époque. Will "Dub" Jones, lui, tire le bon numéro en ralliant les Coasters...

Stranded in the Jungle (James Johnson / Ernestine Smith)
Produit par Joe Bihari (?)

Label: Modern Records

Disponible sur cette compilation proposée par le label anglais Ace Records qui détient les droits du catalogue Modern.

L'inévitable reprise par des artistes blancs fut commise par les Gadabouts quelques jours seulement après celle des Cadets.
Les New York Dolls rendront hommage à la version des Cadets sur leur album "Too Much Too Soon" en 1974.

lundi 22 octobre 2012

River Song - Dennis Wilson (1977)


C'est chez un petit disquaire de L.A (Loire-Atlantique, notre côte Ouest à nous) que je dénichai un jour le CD de Pacific Ocean Blue... 

Pacific Ocean Blue, c'est l'unique album solo de Dennis Wilson, le batteur des Beach Boys, le seul d'entre eux qui accéda réellement à ce mythe californien qu'ils popularisèrent durant la première moitié des 60's, et auquel il se brûla les ailes.

En 1977, quand sort cet album, Dennis Wilson est une sorte de clochard céleste qui hante la jet-set californienne de l'époque. Abonné aux excès en tout genre, il se faisait régulièrement virer de son propre groupe, et personne n'attendait plus grand chose de lui musicalement parlant.

Il avait pourtant signé, dans l'ombre de son grand frère Brian, quelques unes des plus belles chansons des Beach Boys, de Little Bird à Forever, en passant par Be with me... Il avait même sorti, en duo avec son ami Daryl Dragon, un single en 1970: Sound of free, avec en face B le magnifique Lady

Talent gâché par une hyperactivité destructrice, il laisse alors filer les années au gré d'un courant tortueux qui le mènera vers une issue forcément fatale...

Avec l'aide de quelques amis, le fidèle Gregg Jakobson en tête, il enregistre pourtant de quoi remplir un album, et même un peu plus. 
Se rattachant à ce travail en studio comme à une bouée, il insuffle à ses chansons une mélancolie nauséeuse, au milieu de laquelle brillent de-ci de-là des petites bulles d'espoir...

Quelques années plus tard, l'Océan Pacifique l'engloutira à jamais...

mardi 3 juillet 2012

Les Yper-Sound - Stereolab (1996)






Les Yper-Sound (Tim Gane / Laëtita Sadier)
tiré de l'album "Emperor Tomato Ketchup" (1996), nom directement inspiré du film "Tomato Kecchappu Kôtei" (1971) du réalisateur japonais Shuji Terayama.

Label: Elektra (US) Duophonic (UK)

Miss Modular - Stereolab (1997)


Pendant longtemps, Stereolab ne fut pour moi que ces CD aux pochettes étranges sur lesquels je tombais parfois au détour d'un rayon dans les bacs "indépendants" de mes disquaires favoris...
J'avais déjà été tenté d'en choisir un au hasard et de tenter l'expérience, mais je me retrouvais vite perdu dans l'univers de couleurs fluo et de design minimaliste de leur discographie véritablement labyrinthique!

Jusqu'à ce que je franchisse le pas avec l'excellent coffret "Oscillons from the Anti-Sun", qui regroupe 8 de leurs meilleurs EPs agrémentés de quelques inédits...
Et là, quelle claque!! C'était véritablement brillant: une sorte de pop rétro-futuriste, au carrefour des 60's et du krautrock, dans laquelle on retrouve également des réminiscences de musique lounge, brésilienne, de psychédélisme...
Certains morceaux sont assez minimalistes et expérimentaux, d'autres frôlent le rock noisy, d'autres encore sont plus riches et font la part belle aux arrangements de cuivres, toujours assaisonnés de ce qu'il faut de claviers vintages et de bidouilleries électro...

Le groupe fut fondé en 1990 par la Française Laëtita Sadier au chant (les paroles sont souvent en français, et sont toujours surréalistes) et l'Anglais Tim Gane. On peut aussi citer Mary Hansen, dont les chœurs seront un des éléments prépondérants du son "Stereolab" jusqu'à sa mort tragique en 2002 dans un accident de vélo, et Andy Ramsay qui sera présent derrière la batterie de 1993 à aujourd'hui...
Le reste de la composition du groupe sera fluctuant, et accueillera à l'occasion le génial Sean O'Hagan des High Llamas, John McEntire de Tortoise, ou encore Jim O'Rourke...

"Miss Modular" est tiré de l'album "Dots and Loops", sorti en 1997 et faisant suite au très bon "Emperor Tomato Ketchup" (1996), et bénéficie de la collaboration du groupe Mouse on Mars.


Miss Modular (Gane / Sadier)

Label: Elektra (US) Duophonic (UK)

jeudi 21 juin 2012

Goodnight My Love - Jesse Belvin (1956)

On my way to sunny California #3


Curieusement assez peu (voire pas du tout) reconnu de nos jours, Jesse Belvin était pourtant une figure majeure du R&B et de la soul music dans les années 50, dont se revendiqueront entre autre Sam Cooke et après lui Marvin Gaye.

Recruté alors qu’il était encore adolescent par le saxophoniste Big Jay McNeely pour rejoindre son quatuor de choristes  Three dots and a dash, il rejoint le label Specialty en 1952 et obtient la seconde place des charts R&B en 1953 grâce à « Dream Girl » (en duo avec le saxophoniste Marvin Phillips).

Après un passage par la case « service militaire », pendant lequel il co-écrit quand même le mythique « EarthAngel » popularisé par les Penguins en 1955, il signe en 1956 chez ModernRecords, l’un des gros labels R&B de la ville, qui accueillit entre autre Etta James, B.B. King et John Lee Hooker
Etta James disait d’ailleurs de Jesse Belvin qu’il était « le plus talentueux de tous… le plus grand chanteur de ma génération », lui prédisant une carrière plus grande que celle de Sam Cooke ou même de Nat KingCole.

Selon le critique musical anglais Bill Millar, « Los Angeles regorgeait de cliques d’artistes noirs doués. Ils répétaient ensemble, échangeaient des chansons et chantaient sur les disques des uns et des autres de manière libre et informelle, peu soucieux des accords contractuels. ». On peut bien sûr penser à l’omniprésent Richard Berry, mais également à Jesse Belvin, compositeur prolifique, vendant pour une centaine de dollars les droits de dizaines de chansons pour lesquels il ne sera pas crédité.
On raconte ainsi qu’il se rendait aux sessions d’enregistrement sans avoir encore une seule ligne d’écrite, trouvant l’inspiration sur la route même du studio. Le guitariste de session Rene Hall raconte ainsi : « Jesse pouvait entrer en studio avec quelques musiciens et composer sur le champ ».
Cependant, comme le souligne Gaynel Hodge (avec sans doute une pointe de mauvaise fois, lui qui revendiquera quand même une part de la paternité du tube « Earth Angel ») : « Jesse pouvait hypnotiser les gens avec sa voix (…) mais une fois qu’il était parti avec son fric, ils s’apercevaient que la chanson ne tenait que grâce à lui, et que tout ce qu’il leur restait n’était que fumée ».

 On le retrouve aussi occasionnellement chanteur principal dans le duo à géométrie variable Marvin& Johnny, ou bien encore sur les disques des Cliques, et plus tard chez les Shields avec Johnny « Guitar » Watson (notamment « YouCheated » en 1958)…

Belvin sort tout de même sous son propre nom une dizaine de singles chez Modern, dont « Goodnight my love » (parfois sous-titrée "Pleasant Dreams") est le plus emblématique.


George Motola, producteur chez Modern Records, trainait cette chanson depuis 1946 sous une forme inachevée. Jesse, fidèle à son habitude, finit la chanson en quelques minutes puis vendit ses droits pour 400 $ à John Marascalco (parolier d’un certain nombre de classiques tels que « Good Golly MissMolly » et « Rip It Up » de Little Richard, il lancera la carrière du jeune Harry Nilsson en 1963).

Produite par Marascalco, « Goodnight my Love » atteint la 7ème place du classement R&B et devient un classique du genre maintes fois repris, servant même de générique de fin aux populaires émissions de radio d’Alan Freed.
On raconte également que c’est Barry White, alors âgé de 11 ans seulement !, qui joue du piano sur ce titre.

En signant chez RCA en 1959 sur les conseils de sa femme et manager Jo Anne, Jesse Belvin semble enfin prendre en main sa carrière. Il sort dans  l’année l’album « Just Jesse Belvin », avec le tube « Guess Who », gagnant au passage le surnom de « Mr. Easy », certains saluant la maturité et la plus grande sophistication de son nouveau style, le voyant déjà comme un futur Nat « King » Cole, d’autres l’accusant d’affadir sa musique et de  jouer le jeu des majors qui s’efforçaient alors de récupérer la musique noire pour en faire quelque chose de plus acceptable pour le public blanc. 

Le 6 février 1960, tout cela n’eut plus beaucoup d’importance : à la suite d’un concert à Little Rock,  ponctué d’incidents racistes et de menaces de morts, Jesse et sa femme périront tous les deux dans un accident de voiture qui pour beaucoup restera à jamais suspect. Il avait 27 ans...

Goodnight My Love (George Motola / John Marascalco)
Produit par John Marascalco

Label: Modern Records

Disponible sur cette bonne anthologie proposant un grand nombre de ses premiers singles plus ses deux albums de 1959 et 1960

Beaucoup de reprises, dont une très belle produite par Brian Wilson en 1969 pour les Honeys et une autre d'Alex Chilton sur l'album "Loose Shoes and Tight Pussy" en 1999...
Sur son album de 1976 "Mr Biggs", le chanteur de reggae Barry Biggs rend également hommage à Jesse Belvin, dont l'influence semble avoir été grande en Jamaïque (voir également celle de John Holt)...
Les Fleetwoods, trio à succès un peu trop sage malgré les possibilités (deux filles, un garçon...), s'offrira un dernier hit en 1963 avec leur reprise, jolie mais un peu aseptisée, comme souvent à l'époque quand on voulait rendre populaire une chanson écrite par un noir en la faisant chanter par des blancs...

Autres reprises intéressantes: The Four Seasons, Art Garfunkel, Ben E. King, Gladys Knight & The Pips, Ray Peterson, The Tymes, Screamin' Jay Hawkins, The Shangri-Las, ...

mardi 12 juin 2012

The Rise & Fall - Madness (1982)



Si musicalement les années 80 ne furent pas entièrement perdues, c'est en grande partie grâce à Madness, formation anglaise issue du mouvement ska qui se révélera finalement être, au même titre que XTC, le chaînon manquant entre les Kinks des 60's et  le Blur des 90's!!

Avec "The Rise & Fall", Madness est à son apogée...

Quatrième album du groupe, il confirme la progression observée sur les trois premiers: toujours produit par les impeccables Clive Langer et  Alan Winstanley (qui produiront tous leurs albums, ainsi que ce qui s'est fait de mieux à l'époque: Dexys Midnight Runners, Elvis Costello, et plus tard Morrisey, Aztec Camera ou They Might Be Giants), il voit les membres du groupe s'éloigner progressivement du ska, qu'ils ne renient pas mais auquel ils refusent d'être indéfiniment associés, pour affiner leur écriture, la rendant plus mature, avec des textes plus sombres et sérieux, et des arrangements ambitieux puisant aussi bien dans le meilleur de la pop anglaise de la fin des 60's (Beatles, Kinks, Small Faces...) que dans le son de la Motown...


Petite sélection personnelle des meilleurs titres de l'album:

1. The Rise and Fall


2. Tomorrow's Just Another Day


3. Primrose Hill


4. Our House


5. Calling Cards



6. Madness (Is All In The Mind)


La version Deluxe sortie en 2012 chez Salvo est un modèle de réédition: le travail de remasterisation est épatant, et nous avons droit à un CD de bonus bien rempli: des versions alternatives de certains titres enregistrés pour la BBC alors que l'album est encore en phase d'écriture, les singles "House of Fun" et "Driving in my Car" ainsi que leurs faces B, ou encore la version de "Tomorrow's Just Another Day" avec Elvis Costello...
Et tout ça pour moins de 15 € !!